Hermann Hesse sur la solitude, la valeur de la difficulté, le courage d’être vous-même et comment trouver votre destin
« La solitude n’est pas choisie, pas plus que le destin n’est choisi. La solitude nous vient si nous avons en nous la pierre magique qui attire le destin. »
«Personne ne peut vous construire le pont sur lequel vous, et vous seul, devez traverser le fleuve de la vie», écrivait le jeune Nietzsche en réfléchissant à ce qu’il faut pour se trouver. D’une manière ou d’une autre, cet homme d’une contradiction flagrante, louvoyant entre le découragement nihiliste et la navigation trépidante le long du bord de la folie, a réussi à inspirer certains des esprits les plus sûrs de l’humanité – parmi eux, le grand poète, romancier, peintre et lauréat du prix Nobel Hermann Hesse ( 2 juillet 1877 – 9 août 1962), qui a puisé dans la philosophie de Nietzsche les idées les plus humanistes, puis les a magnifiées avec sa propre humanité transcendante.
Certaines des idées les plus audacieuses de Hesse sur notre responsabilité humaine envers nous-mêmes et le monde se retrouvent dans sa «Lettre à un jeune Allemand», écrite à un jeune découragé en 1919 et incluse plus tard dans son anthologie de 1946 Si la guerre continue… (bibliothèque publique) , publié l’année où il a reçu le prix Nobel – la même pièce émouvante que Hermann Hesse a écrite sur l’espoir, l’art difficile de prendre ses responsabilités et la sagesse de la voix intérieure.
D’APRÈS UNE TRADUCTION D’UN ARTICLE DE MARIA POPOVA du site BRAINPICKINGS
Des décennies avant, EE Cummings affirmait que «n’être personne d’autre que soi-même – dans un monde qui fait de son mieux, nuit et jour, pour faire de vous tout le monde – signifie mener la bataille la plus difficile que tout être humain puisse mener», Hermann Hesse écrit :
Vous devez désapprendre l’habitude d’être quelqu’un d’autre ou rien du tout, d’imiter la voix des autres et de confondre le visage des autres avec le vôtre.
[…]
Une chose est donnée à l’homme qui fait de lui un dieu, qui lui rappelle qu’il est un dieu: connaître le destin.
[…]
Quand le destin vient à un homme de l’extérieur, il le met bas, tout comme une flèche descend un cerf . Quand le destin vient à un homme de l’intérieur, de son être le plus profond, cela le rend fort, cela fait de lui un dieu… Un homme qui a reconnu son destin n’essaie jamais de le changer. L’effort pour changer le destin est une quête enfantine qui pousse les hommes à se quereller et à s’entre-tuer… Tout chagrin, poison et mort sont un destin étranger et imposé. Mais tout acte vrai, tout ce qui est bon, joyeux et fécond sur la terre, est un destin vécu, un destin devenu soi.
Faisant écho à l’insistance de Nietzsche sur le fait qu’une vie épanouie nécessite d’embrasser plutôt que de fuir les difficultés, Hesse exhorte les jeunes à traiter leur souffrance avec respect et curiosité, et il ajoute :
Votre douleur amère ne serait-elle pas la voix du destin, cette voix ne deviendrait-elle pas douce une fois que vous l’aurez comprise?
[…]
L’action et la souffrance, qui ensemble composent nos vies, sont un tout ; ils sont un. Un enfant souffre de son engendrement, il souffre de sa naissance, de son sevrage ; il souffre ici et y souffre jusqu’à ce qu’à la fin il subisse la mort. Mais tout le bien d’un homme, pour lequel il est loué ou aimé, n’est qu’une bonne souffrance, la bonne sorte, la souffrance vivante, une souffrance à part entière. La capacité de bien souffrir représente plus de la moitié de la vie – en fait, c’est toute la vie. La naissance souffre, la croissance souffre, la graine souffre de la terre, la racine subit la pluie, le bourgeon subit sa floraison.
De la même manière, mes amis, l’homme subit le destin. Le destin est la terre, c’est la pluie et la croissance. Le destin fait mal.
Bien avant que Simone Weil ne réfléchisse à la manière d’utiliser notre souffrance, Hesse considère les difficultés comme «la forge du destin» et ajoute :
Il est difficile d’apprendre à souffrir. Les femmes réussissent plus souvent et plus noblement que les hommes. Apprenez d’elles ! Apprenez à écouter quand la voix de la vie parle ! Apprenez à regarder quand le soleil du destin joue avec vos ombres ! Apprenez à respecter la vie ! Apprenez à vous respecter ! De la souffrance jaillit la force…
Écrivant quinze ans après avoir fait d’immenses efforts pour briser la transe de l’agitation, Hesse revient dans le bac à sable de l’individualité – la solitude :
L’action vraie, l’action bonne et rayonnante, mes amis, ne naît pas de l’activité, de l’effervescence, elle ne découle pas du martèlement industrieux. Il pousse dans la solitude des montagnes, il pousse sur les sommets où résident le silence et le danger. Il naît de la souffrance que vous n’avez pas encore appris à connaître.
[…]
La solitude est le chemin sur lequel le destin tente de conduire l’homme à lui-même. La solitude est le chemin que les hommes craignent le plus. Un chemin plein de terreurs, où serpents et crapauds guettent… Sans solitude il n’y a pas de souffrance, sans solitude il n’y a pas d’héroïsme. Mais la solitude que j’ai en tête n’est pas la solitude des poètes joyeux ou du théâtre, où la fontaine bouillonne si doucement à l’embouchure de la grotte de l’ermite.
Apprendre à être nourri par la solitude plutôt que vaincu par elle, soutient Hesse, est une condition préalable à la prise en charge de notre destin :
La plupart des hommes, le troupeau, n’ont jamais goûté à la solitude. Ils quittent père et mère, mais seulement pour ramper vers une femme et succomber tranquillement à une nouvelle chaleur et à de nouveaux liens. Ils ne sont jamais seuls, ils ne communient jamais avec eux-mêmes. Et quand un homme solitaire croise leur chemin, ils le craignent et le haïssent comme la peste ; ils lui jettent des pierres et ne trouvent pas de paix tant qu’ils ne sont pas loin de lui. L’air autour de lui sent les étoiles, les espaces stellaires froids ; il n’a pas le doux parfum chaud de la maison et du couvoir.
[…]
Un homme doit être indifférent à la possibilité de tomber, s’il veut goûter à la solitude et faire face à son propre destin. Il est plus facile et plus doux de marcher avec un peuple, avec une multitude – même dans la misère. Il est plus facile et plus réconfortant de se consacrer aux «tâches» de la journée, les tâches accomplies par la collectivité.
Dans un sentiment que la poète May Sarton ferait écho dans sa stupéfiante ode à la solitude deux décennies plus tard, Hesse ajoute:
La solitude n’est pas choisie, pas plus que le destin n’est choisi. La solitude nous vient si nous avons en nous la pierre magique qui attire le destin.
Deux millénaires après que Sénèque eut averti que «tous vos chagrins vous ont été gaspillés si vous n’avez pas encore appris à être misérable», Hesse exulte:
Béni soit celui qui a trouvé sa solitude, non pas la solitude représentée dans la peinture ou la poésie, mais sa solitude propre, unique et prédestinée. Béni soit celui qui sait souffrir ! Béni soit celui qui porte la pierre magique dans son cœur. À lui vient le destin, de lui vient l’action authentique.
En accord avec la vision lyrique de Seamus Heaney selon laquelle «le chemin véritable et durable vers et à travers l’expérience implique d’être fidèle… à votre propre solitude, fidèle à votre propre connaissance secrète», Hesse s’adresse aux jeunes:
Vous avez été fait pour être vous-mêmes. Vous avez été fait pour enrichir le monde d’un son, d’un ton, d’une ombre.
[…]
En chacun de vous il y a un être caché, toujours dans le sommeil profond de l’enfance. Donnez-lui vie! En chacun de vous il y a un appel, une volonté, une impulsion de la nature, une impulsion vers le futur, le nouveau, le plus haut. Laissez-le mûrir, laissez-le résonner, nourrissez-le ! Votre avenir n’est pas ceci ou cela ; ce n’est pas de l’argent ou du pouvoir, ce n’est pas la sagesse ou le succès dans votre métier – votre avenir, votre chemin difficile et dangereux est celui-ci: mûrir et trouver Dieu en vous-mêmes.
Un siècle plus tard, la pièce entière reste une lecture spectaculaire et profondément perspicace, tout comme l’ensemble de If the War Goes On… de ce formidable écrivain qu’est Hermann Hesse
L’excellent ouvrage de cet auteur :
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