Pablo Neruda,
Peut-être n’ai-je pas vécu en mon propre corps : peut-être ai-je vécu la vie des autres », écrit Pablo Neruda pour présenter ces souvenirs qui s’achèvent quelques jours avant sa mort par un hommage posthume à son ami Salvador Allende. Les portraits d’hommes célèbres – Aragon, Breton, Eluard, García Lorca, Picasso – côtoient les pages admirables consacrées à l’homme de la rue, au paysan anonyme, à la femme d’une nuit. À travers eux se dessine la personnalité de Neruda, homme passionné, attentif, curieux de tout et de tous, le poète qui se révèle être aussi un merveilleux conteur.
Le frondeur enthousiaste
Je sens s’approcher ta tendresse sur mon sol,
elle guette mes yeux, mon regard, et s’enfuit,
je la vois s’arrêter pour m’accompagner jusqu’à l’heure
de mon silence pensif et de mon désir pour toi.
La voici, ta tendresse aux yeux doux dans l’attente.
La voici, c’est ta bouche et les mots jamais dits.
Je sens pousser en moi la mousse de ta peine
qui pousse en tâtonnant dans mon cœur infini.
Pablo Neruda ; suite
C’était cela s’abandonner, tu le savais,
c’était la guerre obscure du cœur contre tous,
c’était la plainte de l’angoisse émue qui s’interrompt,
l’ivresse et le désir, et se laisser aller,
c’était cela ma vie,
c’était ce qu’emportait l’eau courant dans tes yeux,