LETTRE DE RUPTURE DE SIMONE DE BEAUVOIR

par | J Mar, 2016 | INDIVIDU, La femme libre, Mon Carré De Sable | 2 commentaires

Précision importante !

Merci à Leïla, qui, dans un commentaire a mentionné qu’il ne s’agissait nullement d’une lettre de rupture
Je vous invite à lire sa précision dans la partie des commentaires à la suite de cet article

 

Simone de Beauvoir a écrit une lettre très touchante à son amant Nelson Algren et en profite pour rendre un hommage appuyé à son autre amour : Sartre

« Je me sens pleinement heureuse, chaleureuse et terriblement reconnaissante quand je vous regarde en moi. » 

Comme adepte des courriers (et j’ai un faible pour la lettre de rupture) que les gens s’adressent et surtout des lettres d’amour que je trouve particulièrement exquises, « Hell Hath No Fury, des lettres de femmes qui annonce une rupture » par Anna Holmes est totalement séduisante ! (bibliothèque publique)…  

Une belle lettre de rupture : Dès 1947, Simone de Beauvoir se lance à la découverte du monde. Elle se rend tout d’abord aux Etats-Unis, où elle rencontrera son amant Nelson Algren, puis parcourt l’Afrique et l’Europe. En 1955, elle débarque en Chine. Elle découvre Cuba et le Brésil au début des années 1960, puis séjourne en URSS. Ses différents périples à l’étranger lui permettent d’enrichir ses ouvrages, qu’elle ne néglige à aucun moment.

La lettre de rupture de Simone est restée par bonheur préservée dans les annales

Il s’agit d’une compilation issue des recherches rigoureuses concernant des lettres de ruptures amoureuses écrites essentiellement par des femmes connues ou inconnues, certaines même étant célèbres comme Anaïs Nin et Sylvia Plath. L’intérêt de cette collecte originale est qu’elle s’étend à travers dix siècles, et est divisée par thèmes – les propositions de compromis, les «On-se-quitte-bons-amis», les refus de mariage, les lettres non envoyées, et plus encore. (Points de bonus: La préface est signée par nulle autre que Francine Prose.)

Une lettre de rupture des plus émouvantes de l’anthologie

L’une des lettres les plus émouvantes de l’anthologie, vient incontestablement de l’écrivain français, féministe, engagée socialement, intellectuelle et philosophe existentialiste, Simone de Beauvoir, l’auteur du traité culte classique Le Second Sexe, devenu un classique du féminisme. 

Simone de Beauvoir, n’a pas eu la vie rangée et calme à laquelle elle était prédestinée. Licencieuse, engagée avec Sartre dans un polyamour mythique et pionnier à cette époque, distinguant leur amour « nécessaire » des autres « contingents », volontiers lesbienne, scandaleuse (elle fut renvoyée de l’Education nationale sous Vichy pas pour faits de résistance, mais pour corruption de mineure), sa liberté tranche avec son temps. En 1947, elle rencontre son grand amour, Nelson Algren, écrivain américain, rendant nécessaire une cohabitation avec Sartre.

Une rencontre providentielle

En 1947, lors d’une visite à Chicago, elle a rencontré Nelson Algren c’est le coup de foudre, ils deviennent amants, une liaison intense s’établit avec l’auteur de « l’homme au bras d’or », une relation longue distance à travers l’Atlantique pour un certain nombre d’années. Mais la souffrance de la séparation a finalement mis son emprise sur Algren et, en 1950, il est devenu lassé et frustré de cette relation épisodique et son désir intense est d’avoir quelqu’un d’une façon permanente dans sa vie. (Il finira par se remarier avec son ex-femme, Amanda Kontowicz, en 1953.)
Cette lettre, que Beauvoir a écrite en Septembre 1950 en route vers Paris après avoir visité un Algren retiré à Chicago, est saturée par la tension palpable entre l’urgence de son désir et un climat de délicatesse qu’elle essaie de créer pour cet homme qu’elle aime toujours mais à qui elle annonce qu’elle ne pourra pas continuer sa relation avec lui . C’est un réel exploit que de composer avec l’espace et la distance lorsque ce que l’on désire le plus au monde est la proximité et le rapprochement.
C’est à la fois la plus grande épreuve et la plus grande tragédie de l’amour.
« Je me sens plus dans une tristesse sèche que dans une colère froide, car je garde les yeux secs jusqu’à présent, aussi secs que le poisson fumé, mais mon cœur est une sorte de crème sale et molle à l’intérieur.
Je ne suis pas triste. Plutôt étourdie, très loin en arrière de moi, je ne veux pas vraiment croire que vous êtes maintenant si loin, si loin, si près de vous.
Je ne veux vous dire que deux choses avant de partir, et puis je ne vous en parlerai plus jamais, je le promets.
Tout d’abord, j’espère bien et je le désire ardemment, j’ai besoin de vous revoir un jour. Mais, rappelez-vous, s’il vous plaît, je ne vous demanderai plus jamais de vous revoir ; ce n’est nullement par fierté, comme vous le savez, mais notre rencontre veux dire quelque chose seulement quand c’est vous qui la souhaitez. Donc, je vais attendre. Lorsque vous le souhaiterez, dites-le – Je ne supposerai pas que vous m’aimerez à nouveau, ni même que vous avez envie de coucher avec moi, et nous n’aurons pas beaucoup de temps à rester ensemble – tout comme vous vous sentez, et quand vous vous sentez de le faire. Mais sachez que je resterai longtemps à l’écoute de votre demande. Non, je ne peux pas imaginer que je ne vous reverrai plus. J’ai perdu votre amour et c’est très douloureux, mais je ne veux pas vous perdre vous. Quoi qu’il arrive, vous m’avez tant donné, Nelson, ce que vous me donniez signifiait tellement pour moi, que même si vous le vouliez le reprendre, vous ne le pourriez jamais.
Et puis votre tendresse et votre amitié étaient si précieuses pour moi que je me sens pleinement heureuse, chaleureuse et terriblement reconnaissante quand je vous regarde en moi. J’espère que cette tendresse et cette amitié jamais, jamais ne m’abandonneront. Pour vous, je pourrais renoncer à la plupart des choses ; en revanche je ne serais pas la Simone qui vous plaît, si je pouvais renoncer à ma vie avec Sartre, je serais une sale créature, une traîtresse, une égoïste. Cela, je veux que vous le sachiez, quoi que vous décidiez dans l’avenir : ce n’est pas par manque d’amour que je ne peux rester vivre avec vous. Et même je suis sûre que vous quitter est plus dur pour moi que pour vous, que vous me manquez de façon plus douloureuse que je ne vous manque ; je ne pourrais vous aimer davantage, vous désirer davantage, vous ne pourriez me manquer davantage. Peut-être le savez-vous. Mais ce que vous devez savoir aussi, tout prétentieux que ça puisse paraître de ma part, c’est à quel point Sartre a besoin de moi.

Fusionnelle avec Sartre autant qu’avec Algren

Extérieurement il est très isolé, intérieurement très tourmenté, très troublé, et je suis sa seule véritable amie, la seule qui le comprenne vraiment, l’aide vraiment, travaille avec lui, lui apporte paix et équilibre. Depuis presque vingt ans il a tout fait pour moi, il m’a aidée à vivre, à me trouver moi-même, il a sacrifié dans mon intérêt des tas de choses. A présent, depuis quatre, cinq ans, est venu le moment où je suis en mesure de lui rendre la réciproque de ce qu’il a fait pour moi, où à mon tour je peux l’aider, lui qui m’a tellement aidée. Jamais je ne pourrais l’abandonner. Le quitter pendant des périodes plus ou moins longues, oui, mais pas engager ma vie entière avec quelqu’un d’autre. Je déteste reparler de ça. Je sais que je suis en danger – en danger de vous perdre – et je sais ce que vous perdre représenterait pour moi.
Vous devez comprendre, Nelson, je dois être sûre que vous comprenez bien la vérité : je serais heureuse de passer jours et nuits avec vous jusqu’à ma mort, à Chicago, à Paris ou à Chichicastenango, il est impossible de ressentir plus d’amour que je n’en ressens pour vous, amour du corps, du cœur et de l’âme. Mais je préférerais mourir plutôt que de causer un mal profond, un tort irréparable à quelqu’un qui a tout fait pour mon bonheur. Croyez-moi, mourir me révolterait, or vous perdre, l’idée de vous perdre, me paraît aussi intolérable que celle de mourir. Peut-être pensez-vous que voilà bien des histoires, mais pour moi ma vie est essentielle, notre amour est essentiel, ça vaut la peine d’en faire une histoire. Et puisque vous me demandez ce que je pense, et que je me sens en grande confiance avec vous, je vous dis tout ce dont mon cœur est plein. Maintenant, au lit, non sans vous embrasser – un amoureux, amoureux baiser.
Votre Simone »

2 Commentaires

  1. Leïla

    Ce n’est pas une lettre de rupture! C’est une lettre écrite après son deuxième séjour avec Nelson Algren. Il était prévu entre eux qu’elle reste auprès de lui 3 mois.Elle appris avant de le rejoindre à Chicago qu’elle ne resterait que 2 mois car Sartre lui ayant demandé de l’aider à écrire un script d’un filmd’une de ses œuvres.
    Elle n’osa pas le dire tout de suite à Algren tant ils se faisaient de joie de ces 3 mois ensembles ( ils ne s’etaient Pas vus d’un an . Leur 1ère rencontre n’ayant durée que quelques jours)
    Quand elle lui apprit, il fut déprimé et bouda. Lui fit comprendre qu’il avait besoin d’elle en permanence et non de ces rencontres trop espacées.Pour la retenir il lui proposa de l’epou Sur l’heure.
    Cette lettre qu’elle lui écrit à son retour en France n’explique donc son impossibilité de répondre à sa demande et comprendre ce qui pourrait s’ensuivre de sa part à lui.
    Il lui repondit qu’il ne pouvait renoncer à elle. Et leur relation trans atlantique s’est donc poursuivi durant 15 ans.

    Réponse
    • Michel Mougenot

      Leïla : Merci de toutes ces précisions, je trouve que votre message rend cette histoire encore plus belle, en tout cas, à moi, elle parle énormément
      Merci beaucoup
      Au plaisir de vous voir intervenir à nouveau sur ce site, dans les commentaires ou autrement
      Cordialement et Chaleureusement
      Michel

      Réponse

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